L’achat d’un Kebab comme cause légitime d’un détour sur le chemin du travail

© Clara Gillissen © Philippe Vansteenkiste

Dans une récente décision du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles datant du 4 février 2021, il a été décidé qu’un accident survenu à un employé, lorsqu’il était sur le chemin du travail mais qu’il effectuait un détour pour s’acheter un Kebab, devait être considéré comme un accident du travail au sens de la loi du 10 avril 1971.

S’agit-il d’une décision innovante en la matière, ou, au contraire, d’une décision qui s’inscrit dans la jurisprudence constante en la matière des accidents sur le chemin du travail ? Retour théorique et pratique sur la matière des accidents survenus à un employé sur le chemin du travail, alors que ce dernier effectuait un détour par rapport à son trajet normal.

 

Principes applicables

Depuis bon nombre d’années déjà, la cour de Cassation nous enseigne que le trajet sur le chemin du travail demeure normal si les détours effectués par l’employé sont insignifiants ou se justifient par un motif légitime, ou s’ils sont importants mais imputable à un cas de force majeure.

L’importance du détour s’apprécie non pas exclusivement en fonction du rapport mathématique entre le trajet emprunté et le trajet le plus court (c’est-à-dire la différence de kilomètres entre le trajet le plus court et le trajet avec détour), mais encore en fonction de toutes les circonstances de fait qui sont de nature à influer sur l’ampleur du risque.

Dès lors que le détour sur le chemin du travail est insignifiant, justifié par un motif légitime ou par un cas de force majeur, le trajet demeure normal ; l’accident qui survient alors sur ce trajet doit être considéré comme un accident survenu sur le chemin du travail. Partant, l’employé peut prétendre au paiement, en sa faveur, durant les périodes d’incapacité de travail qui suivront l’accident, d’une indemnité par l’assureur-loi de l’employeur.

 

Décision du Tribunal du Travail néerlandophone de Bruxelles du 4 février 2021

Très récemment, le Tribunal du Travail néerlandophone de Bruxelles a eu à qualifier un accident survenu à un employé, sur le retour du travail, alors qu’il avait effectué un détour pour aller s’acheter un Kebab au snack.

L’assureur-loi de son employeur a refusé de considérer qu’il s’agissait d’un accident de travail, au motif que « l’accident a eu lieu durant ou après un important détour qui n’est pas légitimement justifié. Le détour fait plus d’1/3 du trajet normal (…). Il ne peut par ailleurs pas s’agir d’un cas de force majeure ».

Dans son jugement le Tribunal du Travail a tout d’abord pris en considération la distance lieu de travail – domicile, et celle du lieu de travail – lieu de l’accident – lieu du snack – lieu du domicile, afin d’apprécier l’importance, en termes de kilomètres, du détour. Le détour a évalué par le Tribunal à maximum 2,75 km sur un trajet normal du lieu du travail au lieu du domicile évalué à maximum 3,2 km.

Le Tribunal a en outre également été pris en considération le temps pris par l’employé pour effectuer le détour jusqu’au snack, soit à peine quelques minutes.

Sur base de ces éléments le Tribunal a finalement décidé que le détour était insignifiant, tant en termes de distance qu’en terme de temps, et que le motif, qui était celui d’acheter un repas, était légitime. Partant, l’accident survenu a donc été considéré comme un accident sur le chemin du travail.

Cette décision s’inscrit dans la lignée da la jurisprudence constante en la matière. Ainsi, à titre d’exemple, il a été décidé par la Cour du Travail de Bruxelles (22 janvier 2007), que constitue un motif légitime le fait de faire un détour sur le retour du chemin du travail pour aller acheter des frites pour sa famille. Il a également été jugé par la Cour du Travail de Bruxelles (22 mai 2017) que le fait pour un employé, qui a entamé le trajet normal pour se rendre à son lieu de travail, de bifurquer vers le cabinet de son médecin-traitant, aux fins de le consulter eu égard à une affection soudaine (allergie), constituait un motif légitime.

Certaines décisions ont néanmoins été rendues à contre-sens de la jurisprudence majoritaire. Il a notamment été jugé par la Cour du Travail de Liège (14 février 2014) que l’employé qui a effectué un détour de 700 mètres pour acheter une boisson gazeuse dans un commerce, a délibérément choisi de faire un détour et ce, pour un motif de convenance personnelle et non un motif légitime.

En conclusion, gardons bien à l’esprit que l’accident survenu lors d’un détour par rapport au trajet normal du travail peut donc être qualifié d’accident de travail, à condition toutefois qu’il remplisse les conditions posées par la Cour de Cassation dans son arrêt du 27 février 1986. Cette qualification sera néanmoins appréciée au cas par cas et en fonction des circonstances propres à la cause jugée …

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