Le patient lésé qui n’a pas eu à prouver lui-même la faute de l’hôpital : à propos du renversement de la charge de la preuve et du droit de la responsabilité

Le 10 juin dernier, un reportage sur une affaire dans laquelle un patient a obtenu gain de cause suite à une action en responsabilité contre un hôpital, ce sans avoir eu à prouver une erreur ou une négligence de la part de ce dernier (voir, entre autres, De Standaard 10.06.2022). Il nous semble intéressant de replacer ce cas dans son contexte, afin de voir quelles leçons nous devrions en tirer.

Le 1er novembre 2020, la nouvelle loi sur la preuve est entrée en vigueur. Les règles du droit de la preuve déterminent comment les parties doivent convaincre le juge de la véracité des faits ou des actes juridiques qu’elles invoquent. Avec la nouvelle loi, le législateur avait 3 objectifs importants en tête: (1) clarifier les règles existantes, (2) éliminer les points de discussion et (3) adapter le droit de la preuve aux développements technologiques.

L’une des nouveautés importantes est la possibilité pour le juge d’inverser la charge de la preuve. La règle générale reste que la personne qui intente une action en justice doit prouver les faits ou les actes juridiques qui démontrent  le bien-fondé de ses prétentions.  Dans le même temps cependant,  la nouvelle loi sur la preuve exige que chaque partie coopère à l’obtention des preuves.  Cela a, entre autres,  pour conséquence – même dans des circonstances exceptionnelles – que le juge peut désormais renverser la charge de la preuve au moyen d’une décision motivée. Il peut décider de le faire si la règle générale aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, ou si une partie s’y oppose, voire encore si la récolte de preuves serait trop lourde ou trop coûteuse.  Toutefois, le juge ne peut le faire qu’après avoir ordonné toutes les mesures d’enquête utiles et une fois qu’il est établi que les parties ont effectivement coopéré à l’obtention des preuves, sans que cela ne conduise à des preuves suffisantes.

Bien entendu, ces nouvelles règles de preuve ont également des conséquences sur le droit de la responsabilité. En principe, la partie lésée a l’obligation de prouver la faute/le manquement contractuel de la personne auteur du dommage, ainsi que le dommage subi et le lien de causalité entre les deux. Ceci, bien sûr, reste la règle générale. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, le juge pourrait e.a. renverser la charge de la preuve.

Une telle application peut donc être trouvée dans l’affaire qui a été rapportée dans les médias le  10 juin dernier et qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 22 novembre 2021.  Il s’agissait d’un cas dans lequel un patient avait été infecté par une bactérie hospitalière lors d’une opération.  Cela s’est produit à la suite d’une anesthésie péridurale. En conséquence, l’homme est devenu incapable de travailler et a intenté une action en responsabilité contre l’hôpital.

En vertu de l’ancienne loi sur la preuve, le patient devait toujours être en mesure de prouver que l’hôpital avait commis une faute ou qu’il avait été négligent. En l’espèce, la Cour d’appel d’Anvers a jugé, sur la base du nouveau droit de la preuve, que l’hôpital lui-même devait prouver qu’il avait pris toutes les précautions nécessaires.  Dans le cadre d’une expertise qui avait été ordonnée, l’hôpital avait notamment refusé  de partager avec l’expert judiciaire les données relatives à la prévention des infections nosocomiales. La Cour a considéré qu’il  s’agissait d’une circonstance exceptionnelle qui rendrait la charge normale de la preuve du patient manifestement déraisonnable. La charge de la preuve a donc été transférée à l’hôpital. Comme il ne pouvait en aucun cas  démontrer  que les précautions nécessaires avaient été prises, la Cour a jugé que l’hôpital avait manqué à son obligation de moyen.

Une hirondelle ne fait pas le printemps et nous ne devons pas donner, avec l’exemple susmentionné, un espoir vain à ceux qui qui sont victimes de tels dommages. La règle générale demeure que la personne lésée supporte l’entière charge de la preuve. La grande majorité des juges continueront donc à prendre cette règle générale comme point de départ. Néanmoins, dans des cas particulièrement complexes et techniques , nous serons probablement beaucoup plus attentifs à la règle selon laquelle chaque partie, y compris la personne qui cause le dommage, doit coopérer à l’obtention des preuves. Si la victime se trouve alors dans une position particulièrement vulnérable à cet égard ou n’a pas les connaissances, la compétence ou l’expertise nécessaire pour fournir les preuves, et que l’autre partie se comporte de manière quelque peu réticente, alors la porte est au moins déjà entrouverte…

®Philippe Vansteenkiste

 

 

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